Et si nous parlions un peu de sexe… chez les araignées


Vous êtes-vous déjà demandé comment les araignées se reproduisent-elles ?

La reproduction est la condition sine qua non de la perpétuation des espèces. Elle regroupe un ensemble d’étapes bien précises :

– l’approche (séduction, parade, tout ce qui se résume à un comportement ritualisé amenant à l’accouplement)

– l’accouplement (l’acte à proprement parlé)

– la ponte (avec ou sans comportement type parental)

Nous parlerons aujourd’hui du côté technique de l’accouplement chez les araignées.

Si je vous dis :

  • tous les mâles araignées possèdent dans leur abdomen une paire de testicules contenant des spermatozoïdes ;
  • aucune araignée mâle ne possède d’organe inoculateur (pénis) directement relié aux testicules ;
  • l’organe copulateur masculin se situe au niveau des pédipalpes transformés des mâles matures, à hauteur des chélicères (voir schéma ci-dessous) ;
  • aucun canal conducteur ne relie les testicules aux pédipalpes

Vous devez vous demander : « mais alors, comment font-elles ? »

schéma anatomie d’une araignée, vue dorsale

petit rappel :

Le sous-ordre des araignées dites aranéomorphes est subdivisé en trois groupes :

  • Groupe des Cribellates : qui possèdent un cribellum et un calamistrum, des organes sexuels mâles et présence d’épigyne chez la femelle adulte.
  • Groupe des Haplogynes : qui possèdent seulement 6 yeux, des palpes simples chez les mâles et absence d’épigyne chez les femelles.
  • Groupe des Entelegyne : qui possèdent 8 yeux, des organes sexuels mâles plus complexes et présence d’épigyne chez la femelle adulte.

Reprenons pas à pas :

Chez les mâles :

1) les deux testicules se rejoignent en un seul canal qui est relié, non pas à un pénis ou tout autre organe inoculateur, mais simplement vers l’extérieur par ce que l’on nomme le pli épigastrique.

pli épigastrique situé sur la face ventrale, ici chez une araignée femelle

Cette ouverture, qui apparaît sous la loupe sous forme d’un simple pli, se situe juste en dessous des poumons, à hauteur de la partie ventrale supérieure de l’abdomen. C’est de par ce pli que le mâle devra faire sortir son sperme (pour le transférer dans ses pédipalpes transformées).

Après plusieurs mues, les deux pédipalpes situés de part et d’autre des chélicères (au niveau du céphalothorax) se transforment en un appareil copulateur, parfois extrêmement complexe (chez les araignées Cribellates et Entelegynes). C’est cet organe qui permettra au mâle de transférer le sperme dans l’appareil reproducteur (l’épigyne) de la femelle.

Pédipalpe mâle mature (source : www.photomacrography.net,© Rick Littlefield)

Photo de pépdipalpe complexe d’un mâle Episinus maculipes (Theridiidae)
source : Les araignées de Belgique et de France – Pierre Oger

Pour transférer son sperme dans ses pédipalpes, le mâle tisse une toile dite spermatique (qui peut avoir différentes formes en fonction de l’espèce mais qui se résume soit à un seul fil, soit à une minuscule structure triangulaire) sur laquelle il vient placer son pli épigastrique et y dépose une goutte de sperme. A ce stade, les spermatozoïdes sont enfermés dans une enveloppe et sont donc immobiles. Le mâle effectue ensuite le transfert de cette goutte de sperme dans ses pédipalpes : il place chacun des palpes sur la goutte de sperme et aspire celui-ci comme dans un réservoir. On compare souvent le palpe du mâle à une seringue, mieux, à une pipette qui est capable d’aspirer le sperme, le contenir et ensuite l’injecter dans l’organe copulateur de la femelle. On peut donc dire qu’il s’agit d’organes sexuels externes.

Visuellement, on dit que les araignées mâles possèdent deux « gants de boxe », les pédipalpes apparaissant souvent comme deux petites « boules » noires, ce qui permet d’identifier le sexe d’une araignée assez facilement.

Chez les femelles :

Chez les femelles, c’est (toujours) un peu plus compliqué : les deux ovaires sont situés dans l’abdomen et les œufs fécondés sont véhiculés vers l’extérieur également via le pli épigastrique (pas d’organe de ponte). Il existe deux réceptacles séminaux ou spermathèques dans lesquels la femelle stockera le sperme après accouplement.

Selon que l’individu fasse partie des araignées Haplogynes ou Cribellates et Entelegynes, l’organe reproducteur, est simplifié ou non (comme chez les mâles). Chez les araignées Haplogynes, le pli épigastrique est directement relié aux ovaires par un simple canal (uterus externe = génitalia des araignées Haplogynes) dans lequel aura lieu la fertilisation des ovules. Une fois que le mâle a déposé son sperme dans les spermathèques, les ovules libérés par la femelle sont fertilisés dans le même canal qui sert à la fois d’insémination et d’expulsion de oeufs.

Schématisation de l’organe reproducteur femelle (genitalia) chez les araignées Haplogynes (à gauche) et Entelegynes (à droite)

Par contre, chez les araignées Cribellates et Entelegynes, il existe en plus un organe copulateur externe (l’épigyne) situé à l’entrée de l’ouverture génitale, constitué de plaques sclérotisées (dures) formant un appareil plus ou moins complexe. Il y a deux ouvertures copulatoires, chacune reliée vers une spermathèque. Copulation et fertilisation se déroulent dans des canaux différents. L’épigyne fait office à la fois de canal conducteur de sperme et de réceptacle séminale (ou spermathèque).

Photo de l’épigyne complexe d’une femelle Floronia bucculenta (Linyphiidae)
source : Les araignées de Belgique et de France – Pierre Oger

Alors, coment ça marche ?

Durant la copulation, il y a donc insertion du ou des deux pédipalpes du mâle dans l’orifice sexuel (pli épigastrique ou épigyne) de la femelle. (Chez les araignées Haplogynes, c’est l’entièreté du bulbe qui est inséré dans le pli épigastrique de la femelle ; chez les araignées Cribellates et Entelegynes, une partie bien spécifique du bulbe, l’embolus, est déroulé et inséré dans l’épigyne de la femelle).

Accouplement de Salticidae : en rouge, le pédipalpe gonflé du mâle inséminant le sperme dans l’appareil reproducteur de la femelle
© Segers Brigitte

Le sperme est déposé dans la spermathèque. Ce n’est qu’au moment où la femelle ovule que les spermatozoïdes vont devenir mobiles et se diriger vers les ovules. Une femelle peut faire fertiliser plusieurs groupes d’œufs avec un seul accouplement.

Pour simplifier les choses, il faut s’imaginer que l’accouplement des araignées fonctionne sur un système de clé sur serrure, et qu’il est (quasi) impossible de croiser des espèces différentes étant donné que chaque espèce possède un duo palpe-épigyne bien spécifique. Pour exemple : un mâle de Xysticus ulmi ne pourra donc pas s’accoupler avec une femelle de Xysticus cristatus…

Cependant, se pose alors la question de la diversité des espèces. S’il n’y a pas de croisement possible (hybridation) entre deux espèces différentes, comment y-a-t-il autant d’espèces ? Des scientifiques ont remarqué qu’il n’est pas si inhabituel d’observer un mâle d’une espèce approcher une femelle d’une autre espèce. Cependant, la parade – comportement hautement spécifique à chaque espèce – est une étape tellement importante dans le système reproductif que la femelle d’une espèce approchée par un mâle d’une autre espèce refusera de s’accoupler avec ce dernier, rendant l’hybridation peu possible (outre le fait que leur appareil reproducteur soit incompatible). Il faut ajouter à ceci des contraintes à la fois temporelle (période de reproduction) et de localisation (habitat).

Des expériences ont même été menées afin d’obliger une femelle artificiellement endormie à se reproduire avec un mâle d’une autre espèce : pour que l’expérience fonctionne, les scientifiques ont cependant sélectionné deux espèces différentes ayant des organes reproducteurs compatibles et donc physiquement fort semblables – exemple cité : Schizocosa ocreata et Schizocosa rovneri (Stratton and Uetz, 1983 1986). Au bout du compte, la femelle a donné naissance à des jeunes araignées hybrides fertiles. Il semble également que certaines hybridation inter-spécifiques puissent se dérouler à l’état sauvage, entre autres chez des espèces Tegenaria (Oxford and Smith, 1987 ; Oxford and Plowman, 1991).

Voici un aperçu en image des parties sexuelles mâle et femelle d’une des araignées les plus connues du grand public : l’Epeire diadème (Araneus diadematus – Araneidae)

Palpe mâture chez le mâle de l’Epeire diadème (Araneus diadematus  -Araneidae)
source : www.eurospider.com

Epigyne chez la femelle de l’Epeire diadème (Araneus diadematus – Araneidae)
source : www.eurospider.com

Les pédipalpes transformés mâles, simplifiés ou non, et les génitalia des femelles (avec ou sans épigyne) servent à l’identification précise des espèces et leurs schémas sont repris dans les clés de détermination des araignées.

Après avoir pris connaissance de tout ceci, et maintenant que vous visualisez parfaitement la position des organes sexuels mâle et femelle, vous comprenez pourquoi il est souvent périlleux pour un mâle de s’accoupler à une femelle. Les scientifiques ont d’ailleurs étudié les différentes « positions » d’accouplement chez les araignées qui diffèrent en fonction des familles. Certains comportements d’approche (les parades) propres à certaines espèces détermineront également le type de position utilisé par le mâle pour inséminer la femelle.

Néanmoins, l’accouplement ne se termine pas toujours par la mise à mort du mâle, et si cela se produit, et bien disons que c’est tout bénéfice pour sa future descendance… ce qui vous sera raconté dans un prochain article.

A suivre donc.

Brigitte Segers

18 réflexions au sujet de « Et si nous parlions un peu de sexe… chez les araignées »

  1. Article parfaitement documenté et illustré . Pour moi une découverte dont je vais essayer de me servir dès maintenant dans mes observations concernant les zygielles !
    Bravo et merci !

  2. Ping : Cette araignée mâle qui mutile le sexe de sa femelle | Passeur de sciences

  3. Ping : Pour assurer sa descendance, une araignée mâle mutile le sexe de ses conquêtes | Own

  4. Ping : Pour assurer sa descendance, une araignée mâle mutile le sexe de ses conquêtes – MediaVor

  5. Rapporté à l’humain ça donne:
    L’homme un matin se retrouve avec une pastille de spermatozoïdes, ça tombe le jour ou il doit prendre le métro. Il en profite pour engager la conversation avec les filles qu’il croise et dès qu’une s’approche assez prêt, il lui fourgue la pastille dans son sac à main et se barre à son RDV. La fille aussi et ils ne se revoient jamais. Un jour bien plus trad la fille se sent toute chose et se dit qu’il serait temps qu’elle fasse des gosses. Elle ouvre son sac à main et Hoooo! surprise il y à une pastille de matos a féconder! elle se dit: Wooaaww! Trop cool ! et voila.

  6. Belle vulgarisation ! Bravo ! (j’ai aussi quelques bons clichés de pédipalpes de Linyphia « en action » si ça vous intéresse… http://richardunord6.skynetblogs.be/archive/2012/09/09/accouplements-d-araignees.html )
    Une Internaute me pose cette question, fin février :
    « On commence à revoir les araignées en ce moment (février) ! Est- ce que la période des accouplements arrive ? »
    Connaît-on les stades adultes des différents genres/espèces pour évaluer leur période d’accouplement ?
    Merci
    Richard

  7. Je vois cette année de nombreuses petites araignées portant leur boule blanche d’œufs sous le ventre, pendant longtemps (ce qui me gêne pour jardiner car je les dérange) et souvent cachées sous terre : merci de m’indiquer combien de temps et quand nous serons tranquilles, mes amies et moi ? (Dordogne)

  8. Super ! Je vais revenir ponctuellement consulter ! Et je citerai la source ! Je commence un nouveau roman : « Une araignée au plafond ! » Mimie Poncelet

  9. Ping : Anyphaena accentuata – Nature Yvelines

  10. Ping : Accouplement de Nesticus cellulanus – Araignée | Araignées de Waterloo et forêt de Soignes

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