Les fil(le)s de l’air


Les araignées se distinguent des insectes par trois critères anatomiques très précis : la présence de quatre paires de pattes, un corps composé de seulement deux parties et l’absence d’antennes. Il existe de nombreuses autres différences telles que la structure des yeux, l’appareil buccal, le mode de digestion ou la présence de filières, … mais aussi et surtout l’absence totale d’ailes. Pourtant cet article va vous expliquer comment les araignées arrivent à voler.

La plupart des animaux ont plusieurs obligations à accomplir durant leur vie : naître, se nourrir et se reproduire. Les araignées n’échappent pas à cette règle et doivent user de toutes les stratégies pour atteindre l’objectif ultime qu’est la perpétuation de l’espèce.

L’herbe est toujours plus verte chez le voisin :

Les araignées pondent en général un nombre très variable d’œufs, celui-ci pouvant aller de un seul œuf (dans de très rares cas) à plusieurs milliers, avec une moyenne se situant quelque part entre les deux… autant dire que lorsque les toutes jeunes araignées émergent en même temps, elles ont très vite besoin de se disperser pour trouver à la fois de la nourriture et échapper aux chélicères de la « chambrée ».

Vu la taille relativement petite des araignées (à notre échelle du moins) celles-ci ont développé une stratégie assez extraordinaire pour se disperser et coloniser d’autres milieux puisqu’au lieu de se déplacer uniquement au sol, elles peuvent aussi littéralement changer d’air.

Pour ce faire, l’araignée utilise la technique de dispersion aérienne appelée ballooning, en référence aux ballons gonflés d’hélium qui s’envolent dans le ciel.

Baptême de l’air :

Le ballooning se déroule en plusieurs étapes :

  • l’araignée monte sur un support pour s’éloigner de la surface du sol et pouvoir ressentir les courants d’air chauds ;
  • lorsqu’elle a trouvé son point d’envol, l’araignée prend une position dite « tiptoe » traduite par sur la pointe des pattes çad en tendant ses pattes au maximum pour séparer son corps le plus que possible du support sur lequel elle se trouve ;
  • l’abdomen relevé et tendu vers le haut, l’araignée produit alors un fil de soie de quelques dizaines de centimètres de long et qui reste attaché à ses filières.
  • le moindre courant d’air chaud lui suffira alors pour lâcher le support et s’envoler dans les airs.
Dictyna uncinata : Banque d'images ARABEL / ©Pierre Oger

Dictyna uncinata : Banque d’images ARABEL / ©Pierre Oger

Envolée sauvage :

La dispersion aérienne des araignées doit être vue comme une dispersion aléatoire qui n’a rien à voir avec les phénomènes migratoires des oiseaux incluant à la fois une trajectoire et une destination bien précises. Une fois dans les airs, les araignées ne contrôlent pas leur déplacement ce qui explique que celui-ci peut se terminer à quelques centimètres à peine de l’endroit de décollage ou aboutir à plusieurs centaines de kilomètres. Toutes les araignées n’arrivent donc pas à bon port et les pertes lors de ce genre de déplacement semblent compensées par le nombre élevé d’individus. En 1830, lors de son voyage à bord du bateau HMS Beagle, Charles Darwin note dans son carnet que le ponton est envahi par des araignées tombées du ciel alors que le bateau se trouve à plus de 100 km des côtes. Dans la littérature, on retrouve des distances parcourues allant jusqu’à, tenez-vous bien, 5000 km.

Les femmes et les enfants d’abord :

Ce sont majoritairement les araignées juvéniles qui utilisent ce mode de transport, mais des adultes pratiquent également le ballooning, que ce soit pour la recherche d’un partenaire ou de la nourriture. Le ballooning varie bien évidemment d’une espèce à l’autre mais dépend également des conditions climatiques et de la localisation géographique.

Dans une étude suisse (1998, G. Blandenier and P.-A. Fürst) basée sur l’analyse de 11 années de récoltes d’araignées capturées dans les airs par un mécanisme d’aspiration – soit 15.398 individus répartis en 103 espèces et 16 familles, les minuscules araignées de la famille des Linyphiidae arrivent en tête du classement, avec presqu’autant de juvéniles que d’adultes dont une proportion plus importante de femelles.

On apprend également dans cette étude que deux tiers du total des araignées récoltées sont des juvéniles pour un tiers d’adultes.

Pour des raisons évidentes de taille et de poids, on ne verra donc jamais une grosse Mygale adulte s’envoler. Par contre, et cela se passe chez nous en Belgique, les juvéniles mygalomorphes d’Atypus affinis Eichwald, 1830 et Atypus pisceus (Sulzer, 1776), nos deux petites mygales belges, pratiquent ce mode de dispersion. C’est d’ailleurs le meilleur moment pour les observer puisque une fois devenues adultes, ces Atypidae passeront le reste de leur vie dans une chaussette de soie enfuie à plusieurs centimètres dans le sol.

Fils de la vierge :

Ces dispersions aériennes laissent des traces observables sur le terrain, lors de chaudes journées d’automne ou d’été, et si la brume s’en mêle, les nombreux fils abandonnés par les voyageuses peuvent sembler recouvrir entièrement la végétation. On les nomme alors « fils de la vierge » ou encore « cheveux d’anges », de bien jolies expressions qui font un peu oublier la mauvaise réputation qu’ont les araignées.

Banque d'images ARABEL / ©Diane Appels

Fils de la vierge : Banque d’images ARABEL / ©Diane Appels

Brigitte Segers

Référence : BLANDENIER, G. & FÜRST, P.-A. 1998. Ballooning spiders caught by a suction trap in an agricultural landscape. Switzerland. In P. A. Selden (ed.), Proceedings of the 17th European Colloquium of Arachnology, Edinburgh 1997: 177–186. British Arachnological Society, Burnham Beeches, Bucks.

 

2 réflexions au sujet de « Les fil(le)s de l’air »

  1. Bonjour, merci beaucoup pour ces articles très intéressants ! Bien à vous, Michel.
    P.S. : pouvez-vous nous renseigner s’il y aura des promenades organisées par « Spidermanneke » prochainement dans la Région Bruxelloise, à la découverte des araignées ? Merci.

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